Euthanasie douce du secteur social, suite à la COVID
le 12/04/2022
Le Social en mouvement
La crise sanitaire vécue depuis près de deux ans, ainsi que les effets dus aux règlementations a des conséquences observables et sans doute profondes pour l’évolution sanitaire, sociale, et culturelle, dans notre pays. Les fermetures successives, les ralentissements d’activité ont eu des conséquences immédiates et durables, directes et indirectes. Il convient d’en analyser certaines caractéristiques.
Quelques considérations sur la transformation du secteur social, après la COVID.
La crise sanitaire vécue depuis près de deux ans, ainsi que les effets dus aux règlementations, a des conséquences observables et sans doute profondes pour l’évolution sanitaire, sociale, et culturelle, dans notre pays.
Les fermetures successives, les ralentissements d’activité ont eu des conséquences immédiates et durables, directes et indirectes.
L’évolution perpétuelle des règles sanitaires a particulièrement impacté sur une longue période le fonctionnement, mais aussi l’organisation des structures concernées.
Pour les acteurs de terrain, la transformation est saisissante.
Nous n’avons certes pas les moyens dans le cadre de cet article de réaliser un quelconque bilan. Mais nous devons néanmoins nous interroger sur notre expérience empirique d’acteurs de terrain, d’observateurs du champ éducatif et social, pour tenter de caractériser des mutations en cours, tant celles-ci semblent de grande envergure.
Perte de vue des publics
Nous sommes frappés dans un premier temps par l’extraordinaire déconnexion des publics, que nous rencontrons dans notre cadre local, vis-à-vis des institutions.
Démarches dématérialisées, structures fermées, informations renvoyées sur Internet… Nous constatons tous les jours, au travers des témoignages des familles et personnes en difficulté l’inaccessibilité, pour elles, des institutions.
Ce qui nous apparait jour après jour c’est comment finalement la vie des gens est en cours de désinstitutionnalisation.
Enfants qui ne fréquentent plus aucune structure de loisirs, qui ne font plus d’activité; adultes qui désespèrent d’avoir un simple rendez-vous à la Préfecture, à Pôle emploi, à la CAF, ou à contacter la moindre assistante sociale… Difficultés, voire impossibilité pour obtenir des rendez-vous médicaux ; renoncements aux soins, aux droits… Un temps immense est perdu dans des séries de démarches qui ne permettent plus de sortir de la précarité ou d’entrevoir des solutions aux problèmes administratifs les plus simples… Le fossé est profond et ne sera plus comblé.
Même la relation des enfants avec leur propre scolarité n’est plus du tout la même, en tout cas pour les enfants et les jeunes de milieu populaire. Ces derniers se retrouvent dans une position paradoxale, où ils sont non seulement eux-mêmes déconnectés, mais où ils observent que leurs propres parents ont perdu pied, depuis les ENT, Pronote, Educonnect, etc.
Or, les structures des secteurs concernés sont très loin d’avoir pris la mesure de tous ces changements. De nombreux lieux, de nombreuses équipes semblent encore camper dans l’illusion de reprendre le même type de fonctionnement qu’auparavant, sans avoir compris les mutations profondes de leurs publics.
Les crises sont des accélérateurs du temps. Et celle que nous vivons et qui se continue sans en voir la fin à ce stade, nous ont fait passer dans une nouvelle époque pour l’action sociale, éducative, sanitaire et culturelle.
Sélection « naturelle » parmi les structures du Social
Nous observons l’effet d’un véritable darwinisme institutionnel en ce qui concerne les organismes. De nombreuses associations, structures ne sont plus en activité et ne parviennent plus à se remettre en route.
Beaucoup d’autres ont limité et redimensionné leurs activités, en réduisant les plages d’ouverture, en limitant les prestations, en supprimant les temps d’accueil, ou en imposant des procédures limitatives d’accès.
Combien de MJC, centres sociaux, foyers municipaux, conservatoires, centres en tout genre sont restés fermés, ou ont limité leurs activités à un niveau symbolique depuis deux ans ?
S’est-on vraiment donné les moyens de prendre la mesure de la quantité de publics perdus depuis l’imposition des « Pass sanitaires » et « vaccinaux » ? Combien d’activités, de sorties, de séjours, de temps d’accueil ont été supprimés en France depuis ces deux années ?
Euthanasie douce des structures associatives du Social
Il semble que l’attention tant des structures que des équipes qui les animent se soit progressivement réduite à l’activité subsistante, et sur ses difficultés techniques, pour justement ne pas se rendre compte de tout le public perdu.
La question de la perte des publics a déjà été relevée, mais il y un effet des conséquences de cette crise, sur les structures et les institutions qui est passé beaucoup plus inaperçu.
Une forme d’euthanasie douce est en train de se produire dans le milieu associatif qui gère tant de lieux, tant de dispositifs dans les domaines sociaux, sanitaires éducatifs et culturels.
En effet, les associations recourent majoritairement aux subventions sur projets et une bonne part de leurs ressources dépend également de leur réponse à des « appels à projets ».
Or, comment rendre compte des actions que l’on n’a pas réalisé ?
Une angoisse, des doutes, un découragement risquent de saisir les responsables au moment de dresser des bilans, de produire des rapports d’activité, de réaliser des reportings chiffrés.
Leur position est en effet intenable ; comment réclamer des moyens pour des actions que l’on doit présenter comme nécessaires, indispensables, alors que, justement, on s’en est dispensé ?
Une bonne part des dispositifs du Social risque tout simplement de disparaître par autolimitation de la possibilité pour leurs acteurs de prétendre à leur nécessité.
Par lassitude, embarras ou véritable difficulté de rendre compte des moyens reçus, le plus simple sera de renoncer à demander des augmentations, ou prolongations de crédits.
Des économies auxquelles les collectivités ne renonceront pas
La fermeture d’une quantité incroyable de locaux que ceux-ci soient municipaux, publics ou associatifs a même parfois été perçue comme un effet d’aubaine. Combien d’économies ont été ainsi réalisées en termes d’entretien, d’alimentation énergétique, d’événements supprimés, ou simplement transformés en événements virtuels ?
Combien de frais de déplacements, de rencontres, de transports ont pu être économisés par les structures employeuses ?
Or, il paraît bien qu’une forte partie de tout ce qui a ainsi été économisé ne sera pas réinvesti, une fois la crise sanitaire passée.
On s’abstiendra de rouvrir une bonne partie des équipements et on va, encore longtemps, continuer à développer le « distanciel » de préférence au « présentiel ».
Aujourd’hui, la présence sur le terrain des équipes sociales est devenue aussi rare que remarquable.
De cette sorte, de nombreux territoires urbains sont devenus de véritables « déserts » sociaux, culturels, sanitaires et éducatifs, sans que cette désertification inquiète plus que cela.
Or le propre du désert, en ces temps de changements climatiques, est qu’il avance !
Laurent OTT