Mutations de l’image de l’enfance
le 24/02/2022
Le Social en mouvement
Le paysage éducatif a beaucoup changé. Il est de moins en moins question aujourd’hui d’épanouissement, d’éveil ; on privilégie l’adaptation et l’acquisition de compétences obligées. Où sont donc passés les idéaux de créativité , de liberté qui ont marqué les années de progrès social ? Quelle place reste t il aujourd’hui pour une éducation émancipatrice ?
Exit l’enfant merveilleux
De temps en temps, aux contours de Facebook, on trouve de magnifiques reportages sur des enfants libres et heureux, créatifs et actifs. On rêve de l’école maternelle finlandaise, on rêve des enfants d’autrefois, intrépides et autonomes….
Mais force est de constater que cette image merveilleuse de l’enfance appartient elle aussi à un passé d’espoirs, de simple confiance en l’avenir, qui semble bien révolu aujourd’hui.
De nos jours, on craint l’enfance. Dès qu’un enfant est actif, on le perçoit comme agité. On a peur pour lui. L’enfant créatif est quant à lui soupçonné d’être en danger dans un monde effrayant. Il faudra le protéger, le surveiller, le confiner, le limiter.
Un enfant créateur, dans un monde ouvert, marqué par de nombreux possibles, c’est peut être encore un idéal dans certains milieux. Mais pour la plupart des gens, dans la plupart des milieux, la créativité de l’enfant ne rencontre aucun regard positif sur le Monde.
L’enfant d’aujourd’hui, dans un monde fermé, promis à des lendemains qui déchantent, ne peut plus être créatif que par exception, que par opposition. Il ne peut plus être créatif que par survie.
Personne n’est créateur de bon cœur
La créativité n’est pas ou en tout cas une expression libre de la vie, comme l’espérait ou le rêvait Freinet.
C’est devenu une réaction coûteuse face à un environnement qui nous oppresse. Quand il est créatif aujourd’hui l’enfant ne l’est jamais pour lui-même ; il l’est en réaction à une famille, une école, une société qui dysfonctionnent. La créativité est devenu un choix coûteux, épuisant, et souvent marqué par de nombreuses déceptions.
En milieu populaire, l’enfant créatif n’a souvent même plus l’espoir d’être compris, et il est même quasiment certain de ne pas être soutenu. Il faudrait des supports de créativité, des occasions, des lieux, des personnes sur lesquelles s’appuyer, capables de recevoir cette créativité.
En Pédagogie sociale, nous essayons de produire des autres disponibles, et réceptifs, dans un environnement de plus en plus désert où il n’y a quasiment plus personne.
L’individualité tue la créativité.
La créativité demande souplesse et disponibilité, alors que nous sommes tous, enfants et adultes réunis, convoqués à la perpétuelle et soucieuse gestion de nous-mêmes : de nos relations, de nos investissements.
Tant que l’on se perçoit soi même comme un individu coupé des autres, voire même en compétition, on ferme les portes à toute créativité possible, en favorisant la sur-adaptation et la peur.
Il faut des lieux pour désapprendre à se sentir coupés des autres. Des lieux pour entrer en résonnance avec les autres. Il faut des liens pour apprendre qu’on n’est pas seuls, il faut des liens pour créer des lieux de créativité sociale.
La véritable créativité est sociale. Il faut de la créativité aujourd’hui pour contrevenir aux règles institutionnelles qui de toute manière sur-déterminent toute occasion et toute possibilité d’agir.
Il faut de la créativité aujourd’hui pour oser entrer en relation avec le faible, l’exilé, l’enfant précaire ; celui qui nous demande plus, celui qui nous demande trop…
Danser sur les ruines.
Et pourtant aucune époque n’a eu autant besoin de créativité pour apprendre à vivre dans un tel environnement.
Nous, éducateurs, pédagogues, nous ne sommes nous-mêmes pas créatifs par option ou par idéal. Nous le sommes par nécessité à chaque fois que nous cherchons à donner sens à notre travail, à nos rencontres, à nos relations.
Et nous avons le monde comme scène, la ville comme espace d’expression car tout est libre, tout est vide. Les structures éducatives, de culture, d’éducation populaire n’en peuvent plus de ne pas fonctionner ; de ne pas avoir de publics.
Les lieux fantômes n’en peuvent plus de se fermer à la vie. Alors comme la troupe Aven savore, composée d’enfants issus des bidonvilles, hôtels sociaux et quartiers « sensibles », nous pouvons danser sur les ruines. https://www.youtube.com/watch?v=L9FvliUDb58
Et nous y dansons la liberté, la joie de vivre et le moment présent, faute de pouvoir se projeter. Qu’importent les vents contraires, nous saisissons le moment qui passe, le présent à habiter.
La danse c’est de la vie qui explose.
Laurent Ott