Prévention ou prévenance : tension et complémentarité en petite enfance

le 05/04/2022

Le Social en mouvement

Aujourd’hui, dans notre société, nous tentons de prévenir un maximum d’événements qui pourraient éventuellement se dérouler. Le but est de minimiser la prise de risque. Plusieurs mesures sont alors mises en place afin que chaque individu soit le moins en danger possible, le plus protégé. La question qu’il convient de se poser est donc de savoir quels sont les risques qui peuvent réellement nous atteindre, afin d’en peaufiner la prévention. Cette dernière est alors en lien avec la sécurité, une notion vaste et diverse et touche tous les domaines (médical, social, privé…)

Le mot prévention vient du latin « praeventio », qui désigne l’action consistant à devancer, à prévenir un risque, un mal, un danger. Pareille définition est négative, car elle suppose l’existence d’un mal, ou du moins d’une menace. La prévention vise la réduction de l’incidence des problèmes en s’attaquant aux facteurs de risque et aux conditions pathogènes. Elle s’adresse à la population générale ou à certains groupes particuliers exposés à de tels facteurs ou conditions. Trois formes de prévention peuvent être retenues :

  • Primaire : elle correspond au travail quotidien effectué auprès du jeune enfant et de sa famille et intervient dans la période où l’enfant se sépare pour la première fois de ses parents et se confronte à l’autre. La prévention primaire porte donc sur la construction des premiers liens.
  • Secondaire : elle correspond aux interventions envers les populations dites «à risques», et est destinée aux individus et groupes restreints. La prévention secondaire consiste à éviter des problèmes précis dont la délinquance n’est qu’un exemple parmi d’autres.
  • Tertiaire : elle correspond au fait de traiter l’aggravation des comportements difficiles et la récidive de la délinquance. La prévention tertiaire consiste à éviter que le problème ne revienne ou ne s’aggrave.

On peut se questionner sur l’actuelle réduction de la prévention aux seules prévention secondaire et tertiaire. La priorité pourrait être donnée à la prévention générale, à l’éducation non formelle et informelle, à la réduction des risques et à la remédiation dans un souci de « bien-être social ». Le bien-être n’est pas l’absence de problèmes ou de conflits, c’est au contraire la prise en considération de ceux-ci et la capacité à les dépasser en mettant en action tous les acteurs.

Différence entre prévention et prédiction

La prévention se situe toujours dans un rapport au temps. Le temps de prévenir, d’aller au-devant. Il y aurait une idée d’anticipation. Prévenir est aussi avertir et annoncer. Les professionnels de la petite enfance font cela tout le temps. Ils préviennent les enfants de la fin de l’activité, de l’heure du repas, de la sieste, du retour des parents… ils peuvent aussi prévenir un enfant qui prend des risques. Mais quand l’enfant se fait mal vient souvent cette assertion :« Tu vois je t’avais prévenu ! » Quelle est la signification de cette expression bien connue des professionnels pour l’enfant ? Il prend des risques en testant ses capacités en essayant de les dépasser et au lieu de le soutenir en l’aidant à mesurer le risque par rapport à ses capacités et donc développer son autonomie, on le prévient et à la fin on lui souligne qu’on l’avait prévenu et donc qu’il ne peut s’en prendre qu’à lui s’il s’est fait mal. Quel est le rôle du professionnel à ce moment ? Quel accompagnement met-il en place auprès de l’enfant ? N’est-ce pas notre rôle d’aider l’enfant à grandir, à se dépasser tout en l’accompagnant physiquement et verbalement à mesurer le risque et ses possibilités à le dépasser ? Dans cette situation, l’enfant n’a pas forcément la capacité d’anticiper, d’envisager les conséquences de son acte. Peut-être que le professionnel aurait pu l’accompagner physiquement ou l’aider à chercher d’autres solutions (accompagnement physique, ou aménagement par d’autres outils tels que des cubes ou les escaliers du toboggan…) ou lui laisser ce temps de prise de risque mais éviter de dire à la fin cette phrase, incompréhensible pour lui.

Pour Sylviane GIAMPINO, la prédiction empêche les identifications des tout-petits de s’élaborer car, pour elle, celles-ci traversent les représentations et projections des parents. Elle énonce aussi que les représentations négatives sont beaucoup plus vite intégrées et réappropriées par les enfants que les positives. Ce qui n’aide pas à la construction identitaire positive de l’enfant. Pour elle, « c’est une butée iatrogène : la spirale ascendante, aspirante du désir parental : le « on rêve qu’il devienne » subit littéralement une perversion dès qu’apparaît le signifiant « il risque de devenir ». Cette approche prédictive peut tendre vers une modélisation des pratiques professionnelles mais aussi des pratiques parentales, familiales et sociales. Ce qui aura pour conséquence de réduire la parentalité à un savoir-faire technique constitué de compétences reconnues voir validées, dont le professionnel pourraient être un des modèles. Cela reviendrait à évincer les dimensions de transmission de valeurs, des projections symboliques qui donnent du sens et des points de repères aux interrelations familiales. G. NEYRAND met en lumière que la prévention rejoint nos valeurs, actes et pratiques. Par conséquent, nos valeurs influencent notre regard, posture et prise en compte des familles que l’on accueille.

Passer de la prévention à la prévenance

Une prévention prévenante

Ce terme de prévention est depuis quelques années fortement stigmatisé de la part des professionnels du champ social et des politiques. Il s’accompagne la plupart du temps des termes sanctions, punitions et répressions.

Ne doit-on pas alors réfléchir à une autre forme d’intervention auprès des enfants et leur famille ? La prévenance pourrait-elle mieux caractériser ce type d’ intervention sociale ?

En ce qui concerne la prévenance, terme québécois, qui est définit par « la disposition à se montrer prévenant, l’attitude d’une personne qui cherche par ses actions, ses paroles, à prévenir les désirs d’autrui. Elle se rapproche de l’obligeance, l’amabilité, l’attention, la délicatesse […], la gentillesse, le soin. » Cela permet de mettre les familles et les professionnels dans un dialogue relationnel interactif et beaucoup plus symétrique.

La prévenance n’a pas encore une place bien reconnue et définie dans notre société. On peut se demander pourquoi cette notion ne prend-elle pas une place dans notre société ? Même si la société ne la reconnaît pas, est ce que cela veut dire que les professionnels ne sont pas dans ce positionnement ? Pourtant les familles devrait avoir le droit à cette attention prévenante qui ne les stigmatise pas, particulièrement lorsqu’elles viennent d’entrer dans la parentalité et que nombre de professionnels s’activent autour d’eux. Cette attitude peut aussi se définir dans l’attention et la présence à l’enfant dans les soins quotidiens, et dans le respect de ses parents, quels qu’ils soient et de quelques manières qu’ils vivent. L’attention qu’il peut y avoir dans ce travail va à l’encontre d’une prévention brutale, ciblée et intrusive. On pourra alors parler de prévention prévenante.

La place du care dans la prévention

La question de la prévenance peut nous amener sur la question du care. La problématique du care dans la petite enfance est régulièrement soulevée aussi bien dans sa dimension perceptuelle que dans celle de l’action. Si nous donnons au care le sens de prendre soin, se soucier, faire attention à l’autre, alors il faut se demander qui prend soin de qui ? et pour quelle raison ?

Et la question sous-jacente est le type de relation qui se construit et légitime une proximité ou une distance entre le professionnel et la personne.

Comme dans toutes situations de précarité, d’immigration et d’exclusion le professionnel va se confronter à des tensions permanentes que métabolisent ses subjectivités personnelles (son identité et sa personnalité), l’éthique de son métier ainsi que la complexité de sa tâche.

Le souci de l’autre, la préservation du lien qui attache le professionnel à l’autre, tout comme sa préoccupation pour la vulnérabilité de l’autre, ne peuvent s’inscrire dans un automatisme instinctif, dénué de tout fondement philosophique. Cela interroge la perception du monde, du bien et du mal mais aussi amène le professionnel à témoigner son humanité.

La question du care dans ces contextes de vie peut se poser en terme de dépendance et d’autonomie. Le care pourrait redonner à un enfant ou à un groupe d’enfants errants, une estime de soi, un sentiment d’efficacité personnelle ainsi que des compétences pour faire face à l’adversité de cet environnement qui lui ai proposé.

C’est accepter de rompre avec nos représentations et d’aborder sans jugement la complexité des relations entre un enfant et son parent dans l’ici et maintenant de leur rencontre, avec ce qui se noue, se joue entre eux dans cette situation. C’est également accepter et respecter la temporalité de chacun. C’est « donner du temps, donner le temps » à la rencontre. La temporalité est un facteur essentiel dans l’accompagnement à la parentalité.

Il est nécessaire de toujours se fixer sur le « prendre soin » de l’interaction parent-enfant, celui qui permet de retrouver une relation harmonieuse de l’enfant avec lui-même, avec son parent, avec les autres et avec l’environnement.

Peut être faut il chercher à créer les moments et les situations dans lesquels tout un chacun, malgré son passé d’insécurité relationnelle et sociale, puisse envisager au-delà de l’adaptation, du changement et, au-delà de la modernité, … un avenir.

Delphine Bodin

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