Un an à l’Espace Petite-Enfance de Rencontres 93

le 07/04/2022

Le Social en mouvement

Lucile EVRARD, Educatrice de Jeunes Enfants, à l’Espace Petite Enfance, Rencontre 93, association AVVEJ, témoigne ainsi d’un an de vie éducative dans un lieu pas comme les autres, dédié à l’accueil inconditionnel et à l’ouverture sur les réalités sociales les plus difficiles.

Difficile de retranscrire en quelques minutes, quelques lignes ou photos 365 jours passés au sein du service. La COVID, les masques, les confinements, les cas contacts sont bien évidemment venus effracter l’accompagnement, renforcer l’isolement, la solitude et la précarité des familles accueillies. Plus de travail, ni de lieux ressources où déposer sa difficulté d’être parent. Des émotions difficiles à discerner sur une moitié de visage recouverte par le masque. Il ne reste parfois que les yeux pour tenter de comprendre ces hommes et ces femmes à travers leurs silences.

Cette année, nous avons accueillis de nouveaux enfants porteurs de troubles de la relation, du langage, du développement… Ces enfants pour qui vous n’existez pas, leurs yeux ne font que croiser les vôtres sans jamais se fixer. Vous n’êtes qu’un objet sur lequel ils viennent parfois se poser sans conscience de votre existence. Ces enfants qui crient, jettent, frappent, crachent et à qui vous ne savez plus quoi proposer. Vous vivez alors la détresse de leurs parents impuissants… mais pour 2 heures seulement. Cette année, nous avons demandé de nouveau des formations, des conférences, des rencontres avec les CAMPS et les CMP pour tenter d’être outillées. La réalité c’est que, tout comme le parent, nous n’avons pas la clef de ces enfants si difficiles à rencontrer.

Cette année, les temps partagés, moments d’ateliers entre les parents, accompagnés par tous les professionnels du service, sont devenus impossibles, pour autant, le partage lors des temps d’accueil n’a jamais cessé.

Les conditions de vie à l’hôtel ou dans les logements insalubres sont peu propices pour cuisiner. L’équipe a donc proposé un atelier « gâteau au chocolat au micro-ondes » et tenté par ce biais, de mettre du sucré dans des vies un peu trop amères.

« Accueillir à la carte » a pris davantage de sens. On apprend à recevoir au téléphone la détresse des familles qui ne peuvent plus venir, qui ont peur du virus, d’être contaminées. Cela a été l’occasion de travailler un accompagnement différent. Le parent a ainsi pu, par exemple, amener leur éducatrice référente ou la psychologue dans leur quotidien, niché dans leur poche ou au creux de leur oreille, tout près de lui, au marché ou au parc, auprès de ses préoccupations quotidiennes.

L’année est passée, et petit à petit, la vie a repris son cours. Cet été, nous avons pu proposer aux familles de partir loin de Saint-Denis et de leurs préoccupations. Souhait surement illusoire car en réalité les préoccupations ne sont jamais bien loin. Pourtant, chaque fois, nous sommes sidérées par la force, le courage et l’humilité de ces familles si jeunes qui donnent le sentiment d’avoir déjà vécu plusieurs vies. Ce sont pourtant des ados que nous avons l’impression d’accompagner durant ces séjours, affalées, pouffant de rire dans les canapés, se jetant à l’eau à la piscine, laissant de côté un instant la précarité, l’exil et les difficultés. Le retour à la réalité est souvent difficile, parfois brutal mais le lien de confiance a pu se renforcer, sans toutefois dépasser les limites que le professionnel impose.

Vient Septembre et l’entrée à l’école de ces enfants qui ne rentrent pas dans le moule de l’éducation Nationale et de ses classes surchargées. Nous devons alors accompagner ces familles, qui tiennent à tout prix à ce que leurs enfants intègrent une classe, fermant parfois les yeux sur les difficultés et les troubles de leur tout petit. Soutenir, se mettre en lien avec les écoles pour éviter des retours violents sur son enfant qui ne parle pas, s’enfuit de la classe ou frappe les autres enfants et qui ne seront donc accueillis qu’en demi-journée.

Cette année, nous avons poursuivi et affiné le lien étroit entre l’accompagnement éducatif et social. Avant l’arrivée de Valérie, les familles étaient confrontées au non-sens de devoir parler de leur parentalité alors même qu’elles ne savaient pas où dormir ni comment se nourrir. L’accompagnement social, permet aux familles d’avancer petit à petit vers des conditions de vie plus décentes. Cela leur permet de porter un regard plus apaisé sur leur enfant. Au fil du temps, celui-ci comprend que son parent est entouré et il peut avoir ses propres préoccupations.

Finalement c’est aussi ça l’EPE, un temps et un espace à soi indispensable pour apprendre à se rencontrer. Un lieu pour parler à cet enfant que l’on n’a pas forcement choisi et désiré, issu de rapports brutaux et forcés, souvent fruit de monnaie d’échange pour un hébergement. Cet enfant qui porte le visage de son père violent auquel on cherche à échapper. Mais aussi cet enfant avec lequel on a traversé tant de pays avant d’arriver jusqu’ici. Celle que l’on cherche à protéger de l’excision qui nous a tant brisée. Celui à qui l’on souhaite de vivre une vie d’enfants.

La bienveillance, bien ancrée dans les valeurs des professionnelles peut évidemment être mise à mal lorsque les familles dépassées n’ont plus que la violence où la brutalité comme modèle de parentalité. Les espaces de supervision sont alors précieux et cette année Nassera a partagé ces temps de réflexion afin de penser, digérer, et mettre des mots sur ces situations.

Enfin cette année, nous avons reçu de nombreux dons (couches, lait, yaourts, vêtements). Le COVID et les fermetures d’association ont renforcé la précarité des familles. Certaines ont confié à l’équipe ne pas manger et ne pas pouvoir nourrir leur famille pendant plusieurs jours. Ces ressources sont donc extrêmement précieuses pour ces familles et nous remercions R93 d’avoir pu se mobiliser.

Comme évoqué en préambule, il est difficile de retranscrire tout ce qui se passe à l’EPE au cours d’une année. Il est vrai que nous avons souvent préféré diffuser lors de ces réunions institutionnelles les moments drôles et légers. Ils rythment toujours ce service et nous nous efforçons de les faire émerger malgré toutes les souffrances qui constituent le quotidien des familles que nous accompagnons.

Alors cette année, nous sommes parfois, souvent rentrées chez nous l’esprit chargé de tous ces parcours d’exil, de violences et de traumatismes.

Lucile Evrard

 

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