Le temps long du confinement

Une annonce que nous n’avons pas su anticiper: le coronavirus s’est propagé partout dans le monde! De l’épidémie annoncée en Chine, nous découvrons que la pandémie va immobiliser toute l’activité humaine!

La veille du discours présidentiel qui annonçait l’injonction à l’auto enfermement, nous étions sur le terrain avec les familles, c’était un Samedi. Nous avions prévu des petites mesures d’hygiène: de l’eau, du savon pour encourager les enfants à se laver les mains. Les verres et le goûter étaient restés au garage.

Le lundi tout le monde devait rester confiné chez soi!

Devant la bonne volonté manifestée par le plus grand nombre, d’utiliser ce « temps libre » imposé pour apprécier les petits plaisirs de la vie familiale, nous avons vécu la première semaine comme une opportunité. Pour notre vie d’équipe, comme pour l’ensemble de notre collectif, nous avions enfin du temps!

Ce temps qui nous manque toujours pour enrichir notre site de témoignages; pour finaliser des projets en réfléchissant aux enjeux, en prenant en compte l’avis de chacun; pour s’astreindre à rédiger les bilans exigés par chaque financeurs; pour organiser des vacances dignes de ce nom…..

Nous avons pris également le temps de téléphoner à chacun et à chacune. Nous avons partagé ainsi des moments d’intense intimité, à parler de nos conceptions de l’existence, de ce qui avait du prix à nos yeux, et de ce qui était ressenti comme une difficulté…

Des échanges en vérité qui renforcent les relations.

Témoignage Aïda avec les ado

Très paradoxalement, malgré la conscience d’avoir à traverser un moment difficile, inédit et plein d’incertitudes,  les premiers jours ont été vécus comme un souffle un peu nouveau. Nous avions le sentiment, en acceptant de bonne grâce cette lourde réduction de nos libertés, cette limitation volontaire de nos déplacements et de nos relations, de participer à cet effort collectif pour vaincre cette maladie inconnue. Nous trouvions notre place dans cette épreuve qui nous concernait tous. Nous étions comme tous les autres. La question des lieux de prières fermés à tous concernaient les citoyens de toutes les confessions. Il n’y avait plus ce discours sur les musulmans qui, par leur pratique, semblaient pour certains, contrevenir aux valeurs de la République.

Nous devenions un peu égaux.

Mais, au cours de nos longs entretiens téléphoniques, nous avons entendu aussi d’autres témoignages. Plusieurs de ces pères et de ces mères allaient devoir poursuivre leur travail. De ces fonctions si peu reconnues, et exercées dans des conditions tellement indignes. Ils devaient continuer à nous servir. Ils devaient vider nos poubelles, remplir les rayons des super marchés, assurer le ménage et la désinfection des locaux, se rendre auprès de nos aînés pour en prendre soin. Les « premiers de corvée » n’ont pas eu de répit, bien au contraire.

Les annonces en boucle des morts qui augmentaient, des hôpitaux saturés, des malades qui ne pouvaient pas tous être accueillis en réanimation, ont eu raison de notre premier élan de bonne volonté.

Nous avons été également témoin d’un drame. Une grand mère que nous connaissions tous et qui nous a quitté, suite à un arrêt cardiaque. Les règles du confinement ont interdit toute manifestation d’empathie pour sa famille, aucune visite, aucune présence n’ont été possible. Un enterrement provisoire a été assuré, sans savoir à quel moment cette dame pourra retrouver sa place parmi les siens en Algérie. Un deuil qui n’a pas pu se faire. L’une de ses filles en a subit un très lourd préjudice. »C’est inhumain, on là voyait pleurer de son balcon, et on ne pouvait pas là serrer dans nos bras! »

Notre premier élan s’est perdu. La café des femmes n’a pas pu se réaliser, via la conférence téléphonique, comme nous l’avions imaginé. Nous n’en avions plus l’énergie.  

Nous avons tenté sans succès de soutenir au téléphone les enfants dans leurs efforts pour répondre à la commande des écoles. Nous recherchions des idées de bricolages, de jeux, pour alléger le quotidien des enfants, mais la distance devenait un frein considérable.

Témoignage Claire,

Les trois premières semaines du confinement, la commission vacances a continué de se réunir. Nous avons eu trois réunions téléphoniques, grâce à Ramzi qui organisait ce temps : Bertrand, Ramzi, Fatiha, Stéphanie et Claire. Nous avons bien travaillé durant ces réunions, prévisions des séjours, du nombre de personnes, établissement des budgets : locations, transports, loisirs, nourriture… bref, tout comme l’an dernier, sauf que nous n’étions pas dans la même pièce mais chacun chez soi !ça nous faisait du bien de se retrouver au téléphone, et aussi de mettre en forme des projets pour l’été 2020, même si nous n’étions pas du tout certains que tous seraient possible avec ce satané virus.

Une grande occupation a été aussi de chercher des idées de sites où l’on trouvait des activités pour les enfants qui puissent être réalisées avec ce que l’on a à la maison, des sites d’activités sportives à la maison pour les adultes, les enfants.

Marion a réalisé une page Facebook pour Terrain d’Entente. Le 19 mai 2020, il compte 182 « amis ».

Nous avons alors pu y placer des annonces des sites intéressants, partager des chansons, des  danses, des annonces de distributions de jeux, des photos d’avant (Halloween, la journée du 8 mars ). 

Le souffle s’est transformé en sentiment d’oppression, la peur s’est installée dans de nombreux foyers. Sortir de chez soi devenait un vrai supplice.

Alors nous avons continué à faire ce qui nous mobilise depuis toujours: rester « présent », accorder beaucoup d’attention à ce qui se manifeste, pour tenter d’y apporter des réponses.

On a pu déceler pour certains un besoin d’aide concret pour assurer les démarches extérieures. Nous avons pu organiser alors un système de courses semaine après semaine en encourageant les jeunes à y apporter leur contribution.

Ce n’est pas si simple d’assurer un tel service, on a le sentiment de faire un peu intrusion dans l’intimité. La façon dont chacun se nourrit, consomme, révèle un peu de lui même. Il faut du temps pour engager une personne à se livrer ainsi.

Il faut également beaucoup de temps pour trouver les bons produits respectueux des habitudes. Chaque fois une journée a due être consacrée pour une seule personne, semaine après semaine. Sans compter le temps nécessaire en appels téléphoniques pour mobiliser quelques jeunes, et être sûr qu’ils soient présents au rendez vous. Ca marchait pas toujours!

Témoignage Ramzi

Après quelques jours un peu troubles pour moi  avec la mise en place d’une sorte de télétravail et avec l’annonce du président que le confinement allait durer quelque temps dans lequel chacun était invité à s’isoler .Pour ma part à ce moment-là  je savais que j’allais pas rester chez moi  car pour moi faire que du télétravail pour lutter contre l’exclusion et  la misère des uns et des autres allait être un coup «   d’épée dans l’eau ».

C’est pourquoi en discutant en équipe et avec les familles, que nous avons contacté régulièrement, nous avons pu identifier différents besoins. Mon coup de fil se résumait à un simple « comment ça va en ce moment?  ». Le plus frappant chez ces familles c’est qu’elles demandaient  rien à personne et malgré leurs précarités, elles étaient toujours  prêtes à donner un coup de main. Zahia une maman de 5 enfants sur le quartier aidait une femme âgée et très malade sur le quartier depuis plus de 2 ans. A ce moment là je lui simplement proposé de l’épauler en ajoutant : «  prend soin de toi » et la elle ma répondu « oui mais dieu compte le khir ( bien ) qu’on fait au autres pas à nous mêmes ».  Sur cette réaction, je me suis dit que certaines familles n’ont pas attendu le coronavirus pour être solidaires et tant mieux.

Nous avons pu identifier divers  besoins pour lesquels  les jeunes pouvaient contribuer en donnant  un coup de main en ces temps difficiles.. Ainsi après sondage auprès  des jeunes via les réseaux sociaux, je leur ai proposé d’aider des personnes vulnérables et plus particulièrement sur la tache des courses alimentaires et donc d’éviter aux plus fragiles de se mettre en danger ´. De manière très spontanée  la stricte majorité m’a répondu :  «Ramzi  on est chaud ( partant) » puis Adem ajouta «  mais on va pas faire ça gratuit ».

 D’autres étaient un peu plus directe Mehdi  : « je gagne quoi moi je suis pas un pigeon ». Certains étaient sur d’autres réflexions du type « c’est sur ces gens font zerhma ( exprès) d’être dans la merde, ils ont pas besoin nous ». Ou plus simplement Fares me  disait « je veux bien aider si tu me fait un tour de vago (voiture )».

Après discussion j’ai donc  invité les uns et les autres à tenter l’expérience dans la mesure  où ils avaient plus de temps que d’habitude en cette absence d’Ecole.  Face à cette sollicitation la stricte unanimité des jeunes que j’avais  contacté étaient  près à être solidaire. Dès lors il nous fallait juste trouver les modalités d’organisation collective  afin de répondre aux conditions de chacun. Une sorte de communauté d’entraide. Le leitmotiv était « frère y a rien à faire faut bien servir à quelque chose ». Malek

D’autant plus que dès la première semaine et l’entrée en vigueurs rapide de l’interdiction de tout déplacement non justifié, plusieurs jeunes du quartier avaient déjà  subit des amendes de 135€ pour non respect du confinement car ils étaient dehors seulement au quartier. A ce moment-là avec les jeunes, nous étions d’abord  beaucoup en contact via les réseaux sociaux. En fait je leur envoyais régulièrement  des petites vidéos  de sport à faire chez soi, des clips de musique véhiculant  des messages éducatifs ou simplement marrantes. A partir de là j’avais plusieurs retours. Certains se plaignaient en effet des amendes. Malek me dit « les keufs  s’ils auraient notre âge c’est sûr ils auraient pris des amendes comme nous » Adem lui répondait :-« frère de toute façon on les paiera jamais  ».

 

En outre  un autre jeune a profité du confinement pour  construire avec des potes un  projet musique. Il s’est  donc mit à faire lui-même du rap.  Younes m’envoyait ces petits extraits en me disant «  regarde ma musique est mieux que tout le monde  mais je suis pas connu». Une phrase de  résilience.  Cela me faisait penser à cette urgence de valoriser ces jeunes et en même temps de les encourager à persévérer dans leurs efforts.

C’est ainsi et après concertation que nous avons demandé à ces jeunes de nous aider à aider les autres afin qu’on puisse les aider en retour durant les vacances d’été car bon nombre d’entre eux ne vont en effet pas pouvoir sortir du quartier. Cette entre aide a donc commencé dès la deuxième semaine du confinement et perdure encore à l’heure actuelle. Concrètement et dans le respect des normes sanitaire ( masque, gel hydro alcoolique, distanciation sociale, attestation de déplacement),  deux fois par semaine. Je prenais avec moi un à deux jeunes pour faire les courses à des personnes très vulnérables que nous avions identifiées en amont ( assez âgées ou malade voir sans moyen de locomotion) sur le quartier de Tarentaize. En acte et pour respecter les gestes barrières. Avec les familles je préparais une liste de courses et je la partageait entre les jeunes qui ensuite étaient  en autonomie, même si en était ensemble en cas de difficulté. Avec ces petites  expériences j’ai pu voir à quel point ces jeunes étaient compétents et qu’ils pouvaient réellement aider. En effet Youcef savait par exemple où était placer la plus part des produits en grande surface, chose que seul j’aurais mit 4 fois plus de temps pour trouver. Il me disait même : « t’inquiète quant il faute être op  je suis  op ( opérationnels) ».  D’ailleurs  Ichem qui était réticent au départ à l’idée d’aider ´gratuitement’ m’a fait une  remarque  dès la première fois qu’il est venu en me disant « Ramzi c’est pas normal dans cette vie on laisse des grands mère porter des bouteilles de gaz toutes seules ».

Ainsi dans ce cadre les familles étaient ravies de laisser sortir leurs adolescents, qui en avaient cruellement besoin, au service de l’intérêt général.

C’est ainsi  à travers ces petites solidarités que plusieurs adolescents ont pu trouver une place certes ponctuelle mais qui avait du sens pour eux. En retour les personnes vulnérables ont pu ouvrir leurs portes à ces jeunes avec une confiance qui augmentait au fil du temps. J’ai encore cette image de cette dame qui donne de l’argent liquide à un jeune qu’elle ne  connait même pas. Cela est à mon sens porteur pour l’avenir.

Nous avons pu entendre, à ces occasions, la révolte de certains jeunes. Les amendes se sont additionnées aux amendes, les menaçant alors de peines plus lourdes. Pour ces jeunes en « galères », rien n’a été pensé. Il était envisageable d’assurer un temps de présence auprès d’eux. Chacun d’entre nous avait l’autorisation d’une heure de sortie par jour. Une équipe d’éducateurs avait toute sa raison d’être dans ce contexte pour aider ces jeunes à prendre la mesure de notre situation sanitaire. Il était possible de prévoir des rendez vous pour les accompagner à se retrouver entre copains, apprendre à respecter les gestes barrières. Tout interdire à des adolescents les verrouille dans leur comportement inadapté et ne leur donne aucune chance de retirer des enseignements de cette expérience. Quelques uns d’entre eux disent même aujourd’hui qu’ils ne sont plus motivés pour rechercher un travail, si cet effort leur confisque leur revenu pour le paiement  de leurs amendes vécues comme injustes.

Notre volonté tout au long de ces semaines, a été « d’ouvrir des fenêtres », tenter de sortir du malaise de plus en plus envahissant. Les « vacances » approchaient, on venait d’apprendre que nous allions devoir maintenir la lourdeur du confinement jusqu’au 11 Mai! Une perspective très inquiétante pour les enfants, beaucoup ne sortaient plus de leur appartement. Comment allaient-ils supporter cet enfermement dans la durée? 

Nous avons alors décidé de proposer des distributions de jeux, livres, coloriages pour apporter un peu de nouveau dans ce quotidien où les repères dans le temps devenaient plus diffus: le jour, l’heure…

Notre premier rendez vous au coeur du quartier a nécessité une semaine d’organisation!

Dans cette fameuse »Attestation de Déplacement Dérogatoire », personne n’avait envisagé que les enfants pourraient avoir d’autres besoins que de manger, dormir et faire leurs devoirs. En leur proposant de venir choisir de quoi se distraire un peu, on « les incitait à ne pas respecter le confinement« .  Mais nous avons su nous faire entendre!

Nos échanges téléphoniques avec des agents de la Mairie, puis du Commissariat, et finalement de la Préfecture, ont permis de faire reconnaître cette initiative comme nécessaire et adaptée au contexte.

Ce petit projet nous a permis de construire avec d’autres, soucieux également de n’oublier personne et d’être présents en priorité à ceux qui risquaient d’être mis en difficulté. Nous avons été mis en lien avec une plateforme sur les réseaux sociaux qui avait l’objectif de recenser les besoins des personnes les plus exposées et les plus fragilisées face au covid, et d’y apporter des propositions d’aide basées sur le volontariat. Ces « brigades » ont collecté de quoi satisfaire les envies des enfants, ils nous ont même prêté main forte pour assurer ce temps de présence dans les meilleures conditions possibles. Nous souhaitions  ne pas déroger aux grands principes des « gestes barrières ».

Nos liens avec l’Amicale ont retrouvé du sens. La présidente a su se rendre disponible au pied levé pour mettre à disposition leur photocopieuse et imprimante chaque fois que nécessaire. Plusieurs agents de la Médiathèque se sont également mobilisés à nos côtés. Ils ont fait don de plusieurs dizaine d’albums, bandes dessinées pour tous les âges. Une proposition de lecture au téléphone a été faite à plusieurs familles.

Sur les trois temps de distributions réalisés, nous avons senti une belle évolution.

Les rares enfants qui nous ont rejoins la première fois sont arrivés avec des manteaux d’hiver. Ils n’avaient pas remarqué qu’on avait changé de saison! Ils ne manifestaient que peu d’enthousiasme face à nos propositions. Cet appétit de vivre, tous ces élans qui les caractérisent s’étaient peut être un peu émoussés? Par contre les pères étaient beaucoup plus présents que durant nos rendez vous habituels. Ils sortaient pour laisser  leur famille à l’abri!

La deuxième semaine, nous avons retrouvé des mères, et des enfants plus demandeurs! Plusieurs avaient rapporté des jeux de chez eux. Ils avaient bien compris l’intérêt de l’échange, du partage qui permet de vivre des journées plus lumineuses. Ces dons ont ainsi circulé entre nous.

Notre dernière rencontre nous situait déjà dans « l’après confinement ». Nous étions tous plus détendus. Plusieurs familles se sont un peu attardées pour discuter entre elles, et pour rire aussi!. Certaines ne s’étaient jamais croisées dans le quartier depuis toutes ces semaines. 

Témoignage Bertrand Aïda Mirella Marion Martin

Les prix des produits de première nécessité ont doublé tout au long de cette période. Les familles ont du s’affronter à une nouvelle difficulté. Le manque d’argent pour subvenir aux besoins élémentaires.

La Fondation Abbé Pierre qui assure notre survie depuis deux ans a pu entendre cette mise en danger des familles. Une subvention exceptionnelle a été débloquée pour assurer des besoins urgents. Notre connaissance les uns des autres, notre facilité à prendre en compte les; confidences, nous ont permis d’identifier différents besoins.

Dès le début du confinement, nous avons mis en place des  temps de réunion plus fréquents. Dans cette société marchande où tout doit être rentabilisé, les réunions sont considérées comme une perte de temps. La réflexion est inutile, il suffit d’appliquer les dispositifs décidés dans des bureaux, à distance des réalités.

Mais pour construire des actions qui répondent aux besoins réels, des actions qui deviennent transformatrices, les temps consacrés à la discussion sont déterminants. Nous avons besoin de la capacité de chacun à comprendre, analyser, proposer.

Avec tous les membres de l’équipe qui avait maintenu des liens avec les enfants, les jeunes, les adultes, nous avons pu identifier les besoins les plus urgents.

Le numérique ayant pris une place considérable, le manque « d’écran » devenait un empêchement à répondre aux commandes des écoles.

Qui s’était posé cette question élémentaire? Pour des familles de 3, 4, 5, 6 enfants! Comment était-il possible d’assurer le travail scolaire?

Dans nos sociétés, les écrans sont devenus des produits de première nécessité. Et nous sommes fiers d’avoir pu équiper 12 familles de cet outils indispensable. 6 ordinateurs ont également été mis à dispositions des familles nombreuses.

Cette distribution a nécessité une énergie considérable.

Témoignage Bertrand Mirella

Ramzi :

Concernant les ordinateurs  cela s’est fait à travers les nombreux appels téléphoniques que  nous avons passés aux familles  dès le début du confinement.

 Karima m’expliquait  « smehli ( désolé) j’étais  pas joignable car mes enfants font leurs devoirs sur mon téléphone ». Safia m’a dit « ma formation pôle emploie d’habitude je la fait sur l’ordinateur là-bas maintenant je peux pas parce que  ça marche pas sur le téléphone ». Ou encore Yakoub un lycée en filière  scientifique qui me dit « c’est chaud de faire mes devoirs vu que tout le monde chez moi utilise l’ordi ».

Cela était valable pour l’ensemble des familles nombreuses qu’on connaissait sur le quartier de Tarentaize. Toutefois, collectivement nous avons pu trouver des solutions. Ce même jeune me demanda s’il était possible d’imprimer des feuilles pour pouvoir travail paisiblement. Heureusement des partenaires sur le quartier nous ont permis cela. Yakoub a pu récupérer l’ensemble de ces impressions ainsi que ceux de ses potes. En disant toujours «  Ahchum (c’est rien), c’est normal »

 Enfin dans cette dynamique solidaire un autre jeune qui m’avait accompagné faire les courses et en discutant je lui expliqué que la fondation Abbé Pierre allait pouvoir  aider les familles qui sont le plus dans le besoin en ce confinement notamment avec l’achat d’un ordinateur. Et la toute suite :  « non saha ( merci) Ramzi, propose aux autres, ils ont plus besoin pour moi c’est fini l’école de toute façon. ». En tous cas face à cette difficulté qu’a présentée le confinement pour l’ensemble de la population, ces quelque jeunes ont put faire preuve de résilience au service de tous.

Nous avons pu identifier également plusieurs familles particulièrement en détresse pour assumer les besoins indispensables. Et nous avons ainsi assurer une « aide vitale », en distribuant à certaines une somme d’argent pour « tenir » et pouvoir manger tous les jours!

Dans ce territoire, comme dans bien d’autres, le quotidien est devenu difficilement supportable. Le temps des devoirs  a été peu à peu un supplice. les enfants ne reconnaissaient pas leur parents comme détenteurs de l’autorité scolaire « tu n’es pas ma maîtresse »  et ont refusé au fil des semaines, de s’astreindre à ce qui est devenu rapidement une corvée, et une source de conflits dans de nombreux foyers.

Les discours des représentants de l’état qui se sont contredits à plusieurs reprises, ont permis à tout un chacun de comprendre qu’il y avait eu beaucoup de mensonges pour justifier le manque de masques, de test, de moyens réels dans les hôpitaux pour accueillir de manière efficace tous les malades. Toutes ces contraintes qui ont été subies, qui ont mis à mal l’équilibre de vie familial était finalement du à de graves incompétences de ceux qui nous dirigent pour construire une stratégie adaptée à ce contexte inédit. Un sacrifice qui nous a coûté trop cher. Les discours présidentiels et de ses représentants ont perdu toute crédibilité.

Il nous faut donc envisager par nous même la période de dé confinement dans les meilleurs conditions. 

Notre objectif prioritaire est de permettre aux enfants de pouvoir sortir, se resocialiser, retrouver le mouvement, l’extérieur. Nous en ressentons l’urgence. Un enfant a deux besoins essentiels pour développer ses potentiels, la relation aux autres, la possibilité de pouvoir bouger.

Les enfants développent beaucoup moins l’empathie quand ils  sont devant les ordinateurs  de manière prolongée. On sait également qu’un corps « intelligent » est un corps en mouvement,  ce qui développe d’autant les capacités cognitives.

Nous avons donc pensé aux masques qui allaient devenir obligatoires ou nécessaires dans certaines conditions.

Témoignage de Claire

Cette recherche de masques a mis à contribution des gens qui ne se connaissaient pas tous, certains ne connaissaient pas Terrain d’Entente et cela nous a donné l’occasion de nous présenter ! La solidarité a joué à fond, ceux qui ne pouvaient pas en faire car n’avaient plus de tissu, ou d’élastiques, nous donnaient un autre contact. Avant le 11 mai, nous avions 170 masques, donnés par : Philippe Léonard (110) le collectif Masquesaintetienne (50), et des couturières voisines qui ont trouvé tout naturel de donner de leur temps et de leur talent pour en confectionner aussi : UN GRAND MERCI à tous !!

Forts de ces convictions, nous tentons de nous engager avec les différents responsables du champ éducatif du territoire pour organiser cette nouvelle période.

Ce temps a été également l’occasion de partager nos difficultés et nos analyses avec ceux avec lesquels nous avions engagés des chantiers

La communauté éducative                                                                                                                  

Avec des militants de la pédagogie Freinet, des acteurs de l’éducation populaire,  nous avons organiser différents échanges sous forme de conférence téléphonique.

Nous avons pu mettre en évidence que le projet affiché de la « continuité pédagogique » dans cette période de confinement était un mensonge qui avait mis à mal d’innombrables familles et enseignants. Il aurait dû être question de « continuité éducative » et engager alors de nombreuses institutions. L’école s’est retrouvée isolée, à devoir construire quelque chose d’impossible.
Nous avons fait le constat que l’absence totale de coordination entre les différents secteurs de l’éducation, leur cloisonnement, leur isolement avait paralysé les initiatives. Nous avons pourtant constaté de multiples tentatives pour briser cet isolement, mais elles sont malheureusement restées marginales. Il était indispensable d’inventer des modes de « présence » auprès de ceux pour lesquels la situation est devenue vite anxiogène. Les injonctions institutionnelles ont semblé ne concerner que l’école, laissant une fois de plus à penser qu’on n’apprend que dans ce lieu…
Certaines mères de familles consacraient plus de 6 heures par jour aux devoirs de l’école. De nombreux enseignants avaient le sentiment de faire intrusion dans les familles et d’imposer une manière de faire irrespectueuse, du cadre de vie familial. Des familles ne pouvaient matériellement pas faire travailler les enfants, d’autres ont  renoncé. Les enseignants ont fait preuve d’inventivité pour mutualiser, pour maintenir le lien avec chacun, mais avaient le sentiment d’abandonner certains de leurs élèves. Les incompréhensions se sont multipliées.
La connaissance et le lien avec les familles par les différents acteurs de chaque territoire, aurait pu donner des indicateurs pour apporter un soutien adapté à tous ceux que cet enfermement dans le temps long oppressait.

Des actions de solidarité de sont organisées sur le terrain, notamment concernant la survie matérielle de personnes  précaires (ex distribution de nourriture ou de bons d’achat, lien avec les familles sans hébergement ou sans papiers, visites aux personnes âgées) mais elles sont restées cloisonnées au sein d’une école, d’une association, d’un réseau.

De nombreux acteurs (centres sociaux, Amicales, mairies…) ont cessé toute activité auprès des enfants et des jeunes, imaginant que des permanences téléphoniques, l’ouverture de pages face book allaient prendre suffisamment le relais pour combler l’absence de lien et de présence.
Nos échanges téléphoniques entre personnes engagées dans cette volonté de continuité, depuis différentes places – enseignants ICEM, professionnels de collectivité, et militants de la pédagogie sociale-  nous ont permis de comprendre certains besoins. Nous avons entrepris des petites actions d’ouverture pour les familles sur nos territoires respectifs (des appels aux familles, des échanges de SMS, des liens  entre les écoles et les centres sociaux, des distributions de jeux, livres, coloriages sur la période des « vacances », des propositions de lectures de livres au téléphone, des distribution d’œufs de pâques dans les boites aux lettres, des anniversaires fêtés, les journaux de classe poursuivis….)

Cette expérience confirme le caractère indispensable de la mise en place d’espaces communs pour assurer la continuité éducative, notamment en direction des familles les plus marquées par la précarité.
Proposer une problématique qui peut tous nous engager, en reconnaissant chaque acteur du champ éducatif dans son rôle, sa fonction et sa légitimité.
Nous engager pour  faire alliance et trouver nos complémentarités dans une même conception de l’apprentissage.
L’école enseigne des savoirs construits dans  la logique des disciplines scolaires. Sont-ils suffisamment appuyés sur le monde réel et pensés pour contribuer aux évolutions de ce monde et à ses transformations indispensables?

Le manque de sens donné aux apprentissages est apparu particulièrement marqué dans ces moments « d’école à la maison », où il manquait la vie du groupe classe, la médiation des enseignants, et les projets qui soutiennent d’habitude les activités proposées.

Connecter  les savoirs avec la vie sociale c’est transformer les savoirs en objets vivants. Les enfants ne sont plus alors des collecteurs de connaissances dévitalisées mais ils deviennent auteurs de leurs apprentissages parce qu’ils font sens pour eux. Et l’école n’est pas l’unique possibilité offerte aux enfants pour accéder à ces apprentissages.
Tous les espaces de vie de l’enfant peuvent contribuer à:
Construire des espaces d’apprentissage, de coopération, de mutualisation et  d’entraide. Des espaces qui dynamisent chacun, enrichissent le collectif et construisent des savoirs susceptibles de nous permettre à tous de percevoir, qu’en dépit de nos différences, nous sommes tous appelés à participer à la construction du commun.
« Il ne faut pas donner plus à ceux qui ont moins, mais donner mieux. Un environnement culturel de qualité, des situations plus riches et stimulantes » (cf: Philippe Meirieu, dans le café pédagogique 22/04/2020)

Nous souhaitons prévoir pour la rentrée de septembre l’ouverture d’un chantier pour construire les modalités d’un travail collectif avec les différents acteurs du champs éducatif.

Projet d’une alimentation de qualité accessible à tous.

L’objectif est de réduire les inégalités face à un acte vital et quotidien et de répondre aux enjeux environnementaux.

Ce projet est issu d’une réflexion entre différents acteurs de terrain, notamment :

« De la Ferme au Quartier » qui développe depuis 10 ans, la dynamique des AMAPS dans les quartiers. Son projet social initial était de rendre accessible cette distribution de paniers aux personnes aux faibles revenus.

« La Fourmilière », super marché coopératif, qui souhaite que cet espace permette l’implication de tous, sans discrimination. Le coût des aliments, des parts pour devenir coopérateur, est estimé de façon à limiter au maximum les freins à la participation.

« Terrain d’Entente » qui anime des ateliers de rue au pieds des immeubles sur le quartier Beaubrun/Tarentaize. Son objectif est de réfléchir aux conséquences sociales de la pauvreté et à la manière de les faire reculer.

« Les colibris » à la Cotonne.                                                                                                                   

Le coût de la nourriture reste une préoccupation permanente des familles des milieux populaires. Toutes renoncent à une alimentation de qualité par manque de moyens financiers.

Une rencontre entre des membres de la Fourmilière et des adhérentes de Terrain d’Entente a mis en évidence une préoccupation et une volonté partagées pour favoriser une alimentation de qualité pour tous, qui contribue à la préservation de l’environnement. Malgré tout, depuis l’ouverture du magasin, et différentes tentatives pour organiser la découverte de cet espace, aucune habitante n’est devenue coopératrice.

La situation très précaire de ces familles est l’explication essentielle de leur absence de participation concrète. La dynamique que Terrain d’Entente a initié depuis 9 ans permet d’affirmer qu’il est indispensable d’aller à la rencontre des gens, d’être présents sur les territoires pour rendre possible des actions transformatrices. La précarité est un vécu si contraignant que la tendance pour toute personne qui là subit est de renoncer à des besoins fondamentaux comme l’alimentation de qualité, l’accès à la santé, à la culture…

L’organisation mise en place par VRAC peut être une base de référence pour la mise en route de ce projet. Cette association est présente sur différents quartiers de Lyon. Quatre salariés se rendent disponibles chaque mois pour réaliser les commandes alimentaires avec tous les habitants qui en font la demande, ils livrent les produits sur chaque territoire, ils   construisent régulièrement des évènements autour de la « cuisine », avec les habitants. L’objectif est de créer des rencontres qui produisent du plaisir partagé et non de l’anxiété autour des questions de santé et d’environnement.

Au vu de l’impact de l’alimentation et de sa production sur notre santé et sur la nature, au vu de l’intérêt manifesté par cette question par une majorité d’habitants des quartier populaires, au vu de leur impossibilité majeure à y avoir accès, nous estimons nécessaire de développer un cadre qui rende accessible pour tous une alimentation de qualité, issue d’une production écologique. L’objectif est de construire une dynamique qui engage chacun d’entre nous à en devenir partie prenante.

Il est possible d’emblée de mutualiser des logistiques issues de l’organisation du travail de différents collectifs déjà engagés dans la distribution des produits issus de l’agriculture paysanne locale. Il est nécessaire que les acteurs issus du champ de l’éducation populaire soit une ressource pour veiller à une appropriation de ce projet par les personnes concernées, dans le respect des possibilités de chacun à pouvoir s’y engager.

Cette démarche ne deviendra réellement soutenable que si nous posons d’emblée la question financière pour les ménages et la rétribution juste des agriculteurs.

L’alimentation de qualité, la préservation de l’environnement, la reconnaissance des travailleurs de la terre, la relocalisation de la production alimentaire, doivent être considérées comme une question de santé publique.

Dans différents espaces de réflexion, et de réalisations concrètes de solutions alternatives, on envisage cette question sous l’angle de la sécurité sociale alimentaire (cf. notamment les travaux de Bernard Friot ). Une somme d’argent prélevée via la cotisation sociale serait attribuée mensuellement pour chaque personne qui pourrait se servir dans des lieux de distribution ou chez des paysans agréés sur le model du médecin conventionné, avec « une carte vitale » alimentaire ». Une telle façon de faire permettrait l’accès de tous à une alimentation saine et locale en tournant le dos aux différentes formes d’aides alimentaires plus ou moins humiliantes pour les personnes.

Il est indispensable de reconnaître à tous un droit à une alimentation de qualité, et la possibilité pour ceux qui nous nourrissent de pouvoir vivre dignement de leur travail.

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